Il y a des jours où l’on croit être souverain·e de sa vie, maître·sse de ses décisions, capitaine du navire. Et puis, sans qu’on sache exactement comment, on se rend compte que dans la salle du trône, ce n’est pas notre voix qu’on entend résonner, mais celle d’un homme au regard familier. Le roi, ce jour-là, c’est mon père.

Pas besoin qu’il soit physiquement là, ni même vivant encore. C’est parfois un ton, une posture, une peur qui parle à notre place. Il s’est assis là, au chaud sur le velours de mes choix, et il gouverne en douce. Avec ses lois à lui. Ses “il faut”, ses “ça ne se fait pas”, ses “tu devrais”, ses “je sais mieux que toi”.

Et moi ? Je suis reléguée dans l’antichambre. Je me surprends à faire des courbettes à des règles qui ne sont pas les miennes. À vouloir plaire à un roi qui, peut-être, n’a jamais été satisfait de son propre royaume. Je décide avec sa voix dans la tête. Je vis un peu à côté de moi.

Ce n’est pas un reproche. C’est un constat. Les pères font ce qu’ils peuvent. Et parfois, ce qu’ils peuvent, c’est trop. Ou pas assez. Et souvent, ça laisse des traces.

Alors je m’interroge. À quoi je renonce quand je lui laisse ce trône ? Quelles décisions j’évite de prendre ? Quels rêves je sacrifie sur l’autel de sa reconnaissance imaginaire ?

Et surtout : suis-je prête à lui demander poliment mais fermement de se lever ? À reprendre ma place, les pieds bien ancrés, même si j’ai encore un peu la voix qui tremble ?

Revenir sur son trône, ce n’est pas déclarer la guerre. C’est juste une révolution intérieure. Une reconquête douce mais déterminée. Celle où l’on dit : “merci pour tout, mais maintenant, c’est moi qui choisis. Même si je fais des erreurs. Surtout si je fais des erreurs.”

Car c’est cela, être souverain·e : accepter de ne plus être l’enfant qui obéit à l’ancien roi, mais l’adulte qui façonne son propre règne, avec ses doutes, ses élans et ses propres lois.

Et vous, qui est assis sur votre trône aujourd’hui ?